[Cette histoire contient des scènes susceptibles de choquer les âmes sensibles]
CHAPITRE I : Trek to the Cave :
- Oh, mais c’est un très beau ventre de femme enceinte que vous avez là, commenta Avelis en berçant son propre enfant sur son sein.
La femme enceinte sourit en caressa son propre ventre :
- J’espère que c’est un garçon, fit-elle, que son père puisse avoir une bonne retraite.
Hierophant soupira à côté de son père leva les yeux aux ciel, reportant son regard sur le paysage qui défilait. Histris se moqua gentiment d’elle en ébouriffant sa tignasse blonde mal coiffée avec ses mains sales et abîmées. Puis, il se concentra à nouveau sur la route à suivre :
- Papa, est-ce qu’on est bientôt arrivés ? se plaignit Hierophant. - Ma pauvre princesse, on vient à peine de partir !
La petite fille eut une moue au surnom. Hierophant était tout sauf une princesse. Non pas qu’elle ne rêve pas d’en être une, mais la demoiselle n’est que la fille d’un groupe de saltimbanques. Son père n’a jamais eu de toit fixe : il a suivit ses parents, acteurs, troubadours avant de reprendre leur affaire à leur mort. Si sa mère a déjà eu une vie tranquille et sédentaire, elle se garde bien de l’évoquer devant sa fille.
Hierophant n’a jamais eu de véritable maison. Son chez-elle, ce sont les routes sans fin, la caravane de ses parents, les vieilles auberges sales et les châteaux des puissants chez qui elle va travailler chez ses parents. Elle n’a jamais eu d’éducation et n’en aura probablement jamais. Elle n’est pas faite pour une vie calme, pour des rêves des princes charmants et des mains blanches. Elle vient d’avoir neuf ans et tous ses ongles sont cassés, ses genoux sont toujours écorchés et ses cheveux n’arrivent pas à tenir en place. Hierophant vit d’aventures, de spectacles, de paysages qui défilent, de mouvement et de musique. Il faut bien ça, quand on a pas à manger un soir sur deux.
Hierophant est la fille aînée d’une petite famille de troubadours. Elle a un petit frère, Hiephoris. Il pleure sans cesse et l’empêche de dormir, mais elle s’occupe volontiers de lui quand elle ne doit pas aider ses parents sur scène. Une petite fille fluette comme elle est est très pratique pour voler dans les poches des spectateurs et pour jouer le rôle des lutins dans les farces que ses parents jouent. Elle a apprit à être habile, à faire rire les gens, à les captiver en chantant. Hierophant était destinée à être un troubadour, tout comme ses parents. Elle n’était pas destinée à attendre un prince charmant en tricotant au coin du feu.
- Papa, continua-t-elle pour tromper l’ennui de la plaine sans fin qu’ils parcourent depuis près de deux heures, dis-moi où on va. - Encore ? Bon, d’accord... On va à Omnia, c’est une très très grande ville. Il va falloir faire attention à ne pas nous perdre là-bas, sinon, on risque de ne jamais se retrouver.
Hierophant frissonna mais ne perdit pas courage :
- Et pourquoi il y a une autre roulotte avec nous ? Qui c’est, eux ? - Eux, ce sont nos compagnons de voyage. Otis et Saëlle. Ils vont à Omnia aussi, ils sont cuisiniers. On se partage le guide, Jaken. - Il me fait peur, papa, murmura-t-elle. - Tu as bien raison, ma princesse, il fait très peur, mais sois gentille avec lui, il a été défiguré à l’armée, il a du être un soldat brillant et courageux. Et il connait un raccourci à travers les montagnes qui nous aidera à arriver plus vite. - D’accord, accepta-t-elle avec une moue.
Mais sa peur pour Jaken ne disparut pas pour autant.
Il n’y avait aucun doute que le mystérieux guide ait été un soldat : il était grand, bien bâti, très musclé, mais agile aussi. Il ne mangeait que le strict nécessaire, ne dormait que quatre heures par nuit et gardait toujours une arme à portée de main. Hierophant n’avait pas peur des armes. Hierophant avait peur de son visage. On aurait dit qu’il avait été dévoré par une bête sauvage qui avait laissé juste assez de peau pour couvrir son crâne. Au milieu du désastre de chair, deux yeux noirs brillaient d’un feu que la petite fille n’avait jamais vu, même quand les hommes sifflaient sa mère. Jaken ne parlait pas beaucoup et, quand il parlait, on avait sans cesse l’impression qu’il donnait des ordres secs et méchants. Il ne s’adressait jamais à elle et ne regardait même pas son petit frère. Il ne semblait n’avoir qu’une idée en tête : arriver à destination.
Hierophant se demandait souvent ce qu’il lui était arrivé et s’il avait été un homme sympathique et aimable un jour. Son imagination fertile inventa mille histoires à son propos au fur et à mesure du voyage, mais toutes ses révélèrent fausses...
En une semaine, ils arrivèrent à la chaîne de montagnes qu’ils devaient traverser avant d’arriver au but. Histris enroula sa petite princesse dans plusieurs fourrures et la mit à l’arrière de la roulotte pour la protéger du froid des montagnes. L’hiver allait arriver d’une semaine à l’autre et s’ils étaient coincés dans ces montagnes, ils le seraient pour l’hiver entier. Or, aucune des deux familles n’avait de quoi se nourrir pendant l’hiver entier.
La traversée fut rude. Les défiles quasiment impraticables pour les chevaux. Ils durent tous descendre et continuer à pieds de nombreuses fois. Jour après jour, le froid devenait plus mordant, le vent plus intense. l’hiver arrivait et le paysage n’était encore que montagnes et montagnes sans fin. Les vivres n’allaient pas tenir assez longtemps et le gibier était rare dans ces endroits. Même Jaken commençait à avoir du mal à trouver du gibier. L’humeur était morose et Saëlle craignait pour son bébé, maudissant le monde entier et surtout leur guide, des dizaines de fois par jour.
Puis, l’hiver arriva.
La tempête fut digne de Ventus. Le ciel s’assombrit tout à coup, les nuages lourds et menaçant couvrirent le ciel. Les cheveux et les vêtements obscurcirent le reste de la vue de Hierophant. Le vent sifflait comme mille séraphins en colère contre les voyageurs qui osaient les braver et prendre un détour. Puis, de grosses gouttes de pluie commencèrent à tomber sur les voyageurs frigorifiés. L’orage ne tarda pas à gronder. Hierophant se couvrit les yeux et les oreilles dans ses fourrures, priant pour sortir bientôt des montagnes et regagner un semblant de civilisation.
Mais Watos avait visiblement mieux à faire que d’écouter les prières d’une gamine de dix ans. Le vent ne se calma pas mais s’amplifia au contraire. Jaken fut bientôt obligé de guider les voyageurs dans une petite cave non loin. Ils détachèrent les chevaux, les faisant entrer avec peine pour garder l’entrée de la cave et bloquer le vent. Les roulottes furent vidées et laissées. Les voyageurs entrèrent dans la cave et signèrent leur destin.
C’était une cave assez grande pour que chacun y tienne debout et puisse s’allonger, mais assez petite pour que la chaleur des corps puisse rester et réchauffer la petite compagnie. Elle était cependant très sombre et la tempête dehors rendait la vue inutile. Très vite, Hiephoris se remit à pleurer et Saëlle à jurer. Jaken garda son calme et fit de son mieux pour faire un petit feu de camp.
Cette nuit, lorsque la compagnie partagea un morceau de viande à moitié crue parce que le feu n’était pas assez fort pour la cuire correctement, le guide regarda longuement Hierophant dévorer son repas, affamée et frigorifiée. Il lui sourit pour la première fois. Hierophant n’en dormit pas de la nuit, blottie contre son père, priant Watos pour ne plus jamais revoir le visage défiguré de Jaken.
Mais Watos avait visiblement autre chose à faire que d’écouter les prières d’une gamine de dix ans.
Le lendemain, la tempête ne s’était pas calmée. Le jour d’après et le jour suivant non plus.
La compagnie restée serrée à l’intérieur de la cave, priant avec ferveur pour que la tempête diminue et leur permettre de reprendre la route rapidement.
Mais Watos avait visiblement autre chose à faire que d’écouter le groupe de voyageurs.
Jaken semblait serein. Il dormait quatre heures par nuit et mangeait à tous les repas. Il sortait dès fois, le matin, pour constater que les roulottes étaient encore là et que la tempête ne permettait pas de reprendre le voyage. Dès fois, il sortait un peu plus longtemps, pour trouver des racines ou du gibier ou quoique ce soit de comestible.
Les provisions diminuaient. Histris donnait souvent une moitié de sa part à sa fille et Avilis, à son fils. Saëlle dévorait sa nourriture et celle de son mari pour sauver son enfant. Elle ne dormait presque plus et les cernes sur son visage grandissaient à vue d’oeil. Elle murmurait sans cesse des paroles incompréhensible sur une malédiction, sur la tempête, sur la nourriture, sur son fils et maudissait le guide dans un murmure sempiternel. La jeune femme un peu ronde qui exaspérait Hierophant lui faisait désormais peur et dès fois, elle préférait même la compagnie muette de Jaken à celle de la jeune femme. Ses murmures dans la nuit étaient encore plus terrifiants que ceux du vent à l’extérieur de la cave.
Les réserves vinrent à manquer malgré le rationnement. Dehors, la tempête ne semblait pas diminuer. Jaken leur avoua qu’il faudrait sans doute attendre la fin de l’hiver pour repartir. Saëlle alla se blottir dans un coin en pleurant toutes les larmes de son corps, rapidement suivie par son mari qui tentait de la réconforter.
Hierophant leva ses grands yeux verts vers Jaken. Il lui sourit à nouveau. Elle frissonna et alla se blottir dans son propre coin, près des chevaux qui étaient l’unique source de chaleur désormais.
Au début, la faim était supportable. Hierophant pouvait supporter la faim : sa famille n’avait jamais été très riche et souvent, ils jeûnaient pour avoir de quoi manger le lendemain. De plus, ils pouvaient garder de l’énergie puisqu’ils ne pouvaient aller nulle part. En dormant une bonne partie de la journée, on pouvait tenir une semaine sans manger. Ce qui effrayait le plus la jeune fille, c’étaient l’obscurité et les gens avec qui elle la partageait.
Saëlle pleurait presque jour et nuit. Dès fois, épuisée par les sanglots, elle s’endormait, laissant la petite fille quelques instants de répits. Mais Saëlle faisait souvent des cauchemars et se réveillait en criant, réveillant en sursaut toute la compagnie. Puis, Hiephoris criait et pleurait parce qu’il avait faim. Puis, on pouvait se rendormir, la faim au ventre. Puis, Saëlle se réveillait en criant et en pleurant...
Au bout d’une semaine, la faim devint une torture. On se résolut à tuer un cheval. Mieux valait continuer avec une seule roulotte plutôt que de mourir bêtement ici. Jaken alla abattre le cheval lui-même et on fit un feu assez fort pour cuire la viande à moitié. Hierophant se fichait bien que sa viande soit à moitié cuite, avoir quelque chose dans la ventre était juste un plaisir, une aubaine, un miracle après une semaine de jeûne. La petite fille n’était déjà pas très grosse avant de partir, mais désormais, elle n’avait vraiment plus que la peau sur les os.
Quand il la vit avec du sang encore un peu chaud partout sur les mains et sur le menton, Jaken eut un autre sourire. Quand Saëlle essaya de voler le morceau de viande de la petite fille, il la fit reculer en posant sa dague sur le ventre gonflé de la femme enceinte :
- Elle a autant besoin de nourriture que toi. En plus, on t’a donné une double-ration pour ton bébé. Laisse-la manger.
Pour la première fois, Hierophant eut plus peur de Saëlle que de Jaken.
Jaken maigrissait aussi. Il vivait aussi dans le noir de la cave. Mais cette vie ne semblait pas l’affecter. Il se levait tous les matins pour regarder à l’extérieur. Il dormait avec eux aussi, entre Histris et Otis. Dès fois, il taillait des formes dans un bout de bois avec son poignard. Des fois des épieux, des fois des petits animaux qu’il offrait à Hiephoris. Des fois, il racontait même une histoire de quand il était à l’armée. Ses histoires avaient toujours un humour qui ne faisait rire que lui et faisait frissonner Hierophant. Dans la nuit, elle serrait fort son père en priant pour qu’il puisse la protéger de Jaken. Elle ne savait pas encore de quoi il fallait qu’il la protège, mais elle sentait que ce soldat n’était pas un soldat ordinaire.
Trois semaines plus tard, on tua le deuxième cheval.
L’endroit où Jaken le tua était encore tâché du sang séché du premier cheval. On finit un feu et on repartit les parts comme pour la première fois. C’était le dernier cheval et il était maigre, aussi maigre que ses propriétaires.
La compagnie avait les traits tirés, sentait mauvais et avait la faim au ventre. On savait que c’était le dernier cheval et qu’après ce repas, il n’y aurait vraiment plus rien à manger. Le sourire de Jaken à Hierophant était rayonnant. Otis, Histris et leur guide sortirent le lendemain pour casser les roulottes afin de faire un mur contre le vent. Ils revinrent épuisés et affamés comme s’ils n’avaient rien mangés.
La présence de Saëlle commençait à devenir insupportable. Elle pleurait et criait sans cesse. Ses murmures mettaient les nerfs à vif. Elle était dans un état désastreux : maigre, comme ses compagnons, elle avait cassé tous ses ongles à gratter contre une possédée sur les murs de pierre et ses bras portaient des marques de griffures qu’elle réouvrait sans cesse lorsqu’elle faisait des cauchemars. Elle perdait ses cheveux et son visage était déformé par la fatigue, le désespoir et les cernes. Elle avait l’air d’un fantôme, d’une morte qui marchait encore parmi les vivants. Hierophant se surprit à préférer la présence de Jaken à celle de Saëlle.
Dès fois, elle poussait un long cri dans la nuit, pleurant et pleurant sans cesse parce qu’elle pensait que son bébé était mort à l’intérieur de son ventre. Elle maudissait Jaken mais celui-ci restait calme. Ce n’était pas le cas d’Avelis qui devait sans cesse réconforter le petit Hiephoris quand il était réveillé par les cris de la jeune femme. La mère de Hierophant ne pouvait clairement plus supporter Saëlle. Elle restait loin d’elle dès qu’elle pouvait et ne lui adressait plus la parole. Souvent, lorsqu’elles devaient se faire face, la petite fille voyait que sa mère devait faire des efforts gigantesques pour ne pas gifler la jeune femme qui empêchait son fils de dormir tranquillement. Histris et Otis essayaient d’égayer l’atmosphère en racontant de beaux souvenirs, des histoires drôles et en chantant des chansons, mais très vite, leurs voix s’affaiblirent en même temps que leurs corps et la cave était souvent le théâtre d’un concert effrayant de respirations de mourants.
Deux semaines après, la tempête ne semblait toujours pas finie. Enfin, d’après Jaken qui était le seul à être encore assez fort pour se lever tous les matins pour voir l’état du ciel. Ils avaient commencé à manger tout ce qui était en cuir : les ceintures, les chaussures... Cela calmait un peu la faim, mais ne l’apaisait jamais vraiment.
Hierophant ne pouvait plus que penser à de la nourriture. Même les croûtes de pain qu’elle avait mangées une nuit, au pied d’un château qui leur avait refusé l’hospitalité étaient un festin. La faim était obsédante, elle était partout et tout le temps avec elle. Ce sentiment de vide, de creux, de néant absolu dans son estomac était tout ce sur quoi elle pouvait réfléchir. Elle commençait à penser qu’elle n’allait jamais quitter cette cave vivante. L’hiver allait passer et quand le printemps allait arriver, elle serait déjà morte. Elle avait à peine la force de se relever pour boire l’eau que Jaken produisait à partir de la neige qui s’entassait dehors. La fourrure qui la recouvrait était désormais la seule source de chaleur. Son père, à ses côtés, était aussi froid qu’un cadavre et tout aussi réactif.
Puis, Hiephoris mourut de faim. Le petit corps était émacié, plus momie qu’enfant. Il était mort pendant la nuit, de faim et de froid probablement. Il était mort dans les bras d’Avelis, alors qu’il n’avait pas trois ans.
Saëlle proposa qu’on le mange.
Avelis était faible, mais tout de même assez forte pour se jeter contre la jeune femme et l’assomer à force de coups de poings. Hierophant entendit même un os craquer. Les cris de détresse de Saëlle résonnent encore dans sa tête, la nuit.
Le jour d’après, on dut se résoudre à faire cuir le petit corps. Hierophant eut un pied. Un petit pied bien cuit de son petit frère qu’elle tint dans ses mains et mangea. Quelques larmes coulèrent sur ses joues mais elle n’avait pas vraiment la force d’être triste.
Saëlle et Avelis se séparèrent et chacune retourna avec sa famille dans un coin de la cave. Au milieu, Jaken regardait le feu mourir et consumer les derniers os du petit frère de Hierophant.
Mais la faim ne tarda pas à revenir. Ils se réunirent tous autour des cendres tiédissantes. Ils avaient franchis un cap et désormais, tout était permit dans l’obscurité de la cave.
Saëlle demanda à ce qu’on mange Hierophant ensuite. C’était la deuxième plus jeune et elle avait plus de chair encore que le petit Hiephoris. De toutes façons, elle était trop faible pour survivre désormais, alors autant la manger parce que, elle, elle avait un bébé à nourrir dans son ventre.
Tous les regards se tournèrent vers la petite fille. Il y avait quelque chose dans les yeux de Jaken qui, pour une fois, ne lui fit pas peur, mais lui donna du courage :
- Et pourquoi on ne mangerait pas Saëlle, plutôt ? Elle ne sert à rien, elle ne fait que pleurer et empêche tout le monde de dormir. En plus, comme elle le rappelle tout le temps, elle a un enfant en elle. Ça ferait deux fois plus à manger.
Jaken rit et Hierophant se sentit perdue. Il n’y avait plus de marche arrière. Elle était désormais une meurtrière, un assassin, elle venait de condamner à mort une première personne.
Même Otis, le mari de Saëlle participa à son meurtre. Avelis ne semblait pas pouvoir s’arrêter de rire pendant qu’elle mangeait la chair de son ancienne compagne de route. Ce rire était deux fois pire que le rire de Jaken. Jaken était un homme cruel habitué à tuer, mais Avelis était la mère de Hierophant, la femme qui l’avait portée en son ventre et l’avait nourrie à son sein. Avelis avait toujours été une femme maternelle, douce et aimante. Son rire cruel quand elle dévora les restes de Saëlle fit frissonner Hierophant qui se mit à redouter sa propre mère.
Cette nuit-là, Jaken réveilla la petite fille et lui proposa un morceau du foetus qu’il avait gardé rien que pour elle. Il lui ébouriffa les cheveux comme il avait vu Histris faire quand elle mordit dans ce qui aurait été le visage du fils de Saëlle, celui qu’elle venait de condamner à mort.
Puis, tout partit à la dérive. Ils étaient incapables de s’arrêter de manger. Histris tua Otis un jour qu’il voyait sa pauvre petite fille, sa princesse, son enfant unique, si maigre qu’elle pouvait à peine ouvrir les yeux. Otis dura une bonne semaine en rationnant la viande. Une nuit, Hierophant entendit sa mère convaincre son père de tuer Jaken pour le manger avant que celui-ci ne les tue. Ils trouveraient bien un chemin hors de ces satanées montagnes sans lui. En plus, c’était lui le responsable de tout ça. Il les avait menés jusqu’ici, il leur avait dit qu’il y avait un raccourci, il les avait bloqués ici.
Mais quand Histris se réveilla le lendemain, il ne trouva pas sa femme à ses côtés, mais en morceaux, au-dessus du feu de Jaken. Il était tellement désespéré qu’il n’essaya même pas de répliquer en mangea les morceaux de sa propre femme que Jaken lui tendait. Il garda quelques morceaux pour Hierophant qui n’osa pas poser de questions et mangea également. De toutes façons, ils ne faisaient que retarder l’inévitable. Ils allaient mourir avant la fin de l’hiver.
D’ailleurs, elle ne savait même pas quel jour on était, depuis combien de temps elle était là et elle se demandait même si elle s’en souciait. Elle venait de manger son petit frère et sa mère et trois autres êtres humains : comment allait-elle s’en sortir ? Elle était déjà à peine capable de tenir debout plus que cinq minutes.
Quelques temps après, Jaken la secoua doucement, la réveillant. Il la tira dans un coin sombre de la cave. Hierophant croyait alors vraiment qu’il allait la tuer, là, sans cérémonie pour la découper en morceaux et la faire manger à son père. Elle était tellement fatiguée et désespérée qu’elle n’arrivait même pas à s’en soucier. Mais il ne fit rien de tout ça. Il s’assit et l’assit sur ses genoux. Il ne dit rien pendant un moment, se contentant de caresser ses longs cheveux blonds, tellement désordonnés qu’ils formaient une crinière autour de sa tête trop maigre. Puis, il se mit à raconter, dans un murmure à la fois faible et fascinant, ses yeux noirs plantés dans les siens, comme un serpent qui tente d’hypnotiser une souris :
- Tu sais, Hiero, quand on est soldat, dès fois, on se retrouve dans des situations très improbables, très rudes... On doit aller en mission avec des jeunes recrues pour leur apprendre à survivre dans la nature. Et puis, tout à coup, on se retrouve dans des montagnes et l’hiver est arrivé plus tôt que prévu. Et on doit s’enfermer dans une cave. Et la tempête ne s’arrête pas. Elle continue, et continue et continue. Et les vivres viennent à manquer. J’avais vingt-sept ans. J’étais promis à une grande et belle carrière dans l’armée. J’étais plutôt fort. Mais... Mais la faim... Personne n’échappe à la faim. On est tous égaux devant la faim. Qu’on soit riche ou pauvre. Quand on a faim, vraiment faim... On découvre sa propre nature. La bête qu’il y a en nous. C’est ça, notre vraie puissance : laisser la bête être libre. C’est ça qui nous rend plus fort que les autres, ceux qui brident la bête, l’enferment, la tuent. Ceux-là sont faibles, pour toujours. Ils sont comme Saëlle, comme Otis... Ils ne savent pas se défendre. J’ai du tuer, cet hiver-là, dans cette cave-là, il y a tellement, tellement longtemps... Je les ai tous tués. Pas un seul survivant. La faim me poussait toujours plus loin. Plus je mangeais des hommes forts, plus je prenais leur force. Tu ne l’as pas encore senti parce que tu n’as mangé que des êtres faibles et malades, mais je sais que tu peux le sentir. Tu es une petite fille intelligente et courageuse, Hiero, je sais que tu peux le sentir. Manger des gens forts te rend fort. Maintenant, tu as le choix, Hiero : ton père est un homme fort, mais je sais que tu l’aimes.
Il pressa sa dague dans sa petite main osseuse.
- Si tu le tues, on pourra le manger ensemble et tu deviendras une petite fille très forte.
Hierophant baissa les yeux sur la dague. Elle était incroyablement lourde, comme si la responsabilité du parricide qu’il voulait qu’elle commette pesait sur le fil de la lame. Elle sentit sa main trembler. Oui ? Non ? Oui ? Non ? Après tout, elle avait déjà mangé sa mère, elle avait déjà mangé son petit frère... Il lui offrait assez de force pour sortir de là, pour survivre... Quelque chose dans le creux de son estomac la poussait à accepter, à le faire... Voyant qu’elle hésitait, Jaken continua à lui murmurer à l’oreille, sa main caressant son dos dans un mouvement qui se voulait réconfortant :
- J’ai toujours voulu un enfant. Une fille. Une jolie petite fille, courageuse et effrontée comme toi. Je suis souvent très très seul. Je n’ai jamais eu d’enfant. Quand je t’ai vue, je me suis dis que ça pourrait être ma chance. Il n’y a pas vraiment de tempête, dehors, tu sais. Elle a duré un mois, à peine. Après, on a mit un mur pour vous faire croire qu’il y avait encore une tempête, mais il fait beau dehors. Vous étiez juste trop faibles pour aller vérifier par vous-même. On peut manger ton père, ensuite je deviendrais ton père et on irait à Omnia tous les deux. On mangerai autant d’hommes qu’il faudra pour voler leurs fortune et être riche et tu n’auras plus jamais faim. Tu auras des jolies mains blanches et des suivantes pour coiffer tes cheveux. Tu aimerais ça ?
Hierophant releva les yeux, incrédule. Il tenta un petit sourire, sa main jouant avec le bout de ses cheveux blonds. La petite fille regarda la dague et resserra les doigts dessus. Jaken hocha la tête et l’encouragea :
- Bien..Bien... Ça, c’est ma petite fille...
Hierophant regarda son père, prit une grande inspiration et...
planta la dague dans la poitrine de Jaken.
Elle n’avait pas assez de force pour le tuer, mais elle avait tout de même planté la moitié de la dague dans sa poitrine, s’aspergeant de sang. Elle sauta de ses genoux le mieux qu’elle put et courut à côté de son père qui était en train de se réveiller avec les cris de colère et de douleur de Jaken.
- Vite, papa, vite ! Il faut partir, maintenant ! - Mais, mais... bégaya Histris. - Il n’y a pas de tempête ! Jaken veut nous tuer, vite !
Puis, elle courut jusqu’aux planches qui bloquaient l’entrée de la cave et, rassemblant ses dernières forces, les poussa pour ouvrir un passage, l’odeur du sang de Jaken omniprésente et... délicieuse.
Quand les planches finirent par tomber, le soleil l’éblouit par sa vivacité. Ses yeux s’écarquillèrent, se froncèrent et elle s’effondra, inconsciente.
Hierophant se réveilla en sursaut. La tête lui tournait et elle se sentait aussi faible qu’une brindille emportée par le courant d’une rivière. Mais elle était vivante. Elle cligna les yeux plusieurs fois et se frotta les paupières pour essayer de s’habituer à la lumière du jour qui filtrait à travers une petite fenêtre, juste à côté du lit.
Elle essaya de fermer les yeux à nouveau, se sentant trop faible pour faire le moindre mouvement, mais elle entendit la porte s’ouvrir et elle se redressa immédiatement, reculant jusqu’à l’autre bout du lit, se collant au mur.
Une femme tenait sur le pas de la porte, un plateau dans les mains. Elle était très grosse, petite sur ses jambes boudinées, empêtrée dans une robe de toile grossière trop petite pour elle et dont le corset, contenant à peine ses seins, menaçait d’exploser à tous moments. Hierophant la regarda, toujours aussi tendue et prête à fuir si elle se sentait menacée. La femme ne sembla pas s’en formaliser et posa le plateau sur le lit, devant elle.
Hierophant regarda le plateau, puis regarda la femme, regarda la porte restée ouverte, regarda la femme à nouveau, avant de se jeter sur la nourriture comme un animal. Elle avait tellement faim et pas assez de temps pour mâcher les aliments avant de les avaler pour satisfaire son estomac. Elle entendit cependant la femme rire. Un rire franc et mélodieux, presque ridicule venant d’une femme aussi rustre. La petite fille arrêta immédiatement de manger pour relever la tête vers la femme, l’air complètement sauvage, ses cheveux ébouriffés tombant devant ses yeux et la chemise qui n’était pas la sienne, trop grande pour tenir sur ses deux épaules à la fois.
La femme essaya d’approcher, mais la petite fille recula immédiatement, s’acculant contre le coin du mur, comme un animal traqué. La femme recula :
- Je comprend. Ton père nous a expliqué ce qui vous est arrivé. C’est terrible. Pauvre petite fille. Mange, va. C’est que du bon. Des bons légumes et du bon pain. Rien de glauque. Tout ça est terminé. Quand tu auras terminé de manger, viens dans le couloir, je serais là pour t’amener dans un bon bain chaud. On va faire quelque chose pour ces cheveux.
Hierophant la regarda longuement sans un mot avant d’avancer à nouveau vers la nourriture et de recommencer à manger, mais plus lentement cette fois-ci.
La femme en question était une parente d’Otis. Elle tenait une auberge à Omnia et avait proposé au jeune homme de la rejoindre avec sa femme pour l’aider aux cuisines. Quand elle n’avait pas eu de signe de vie de lui depuis deux mois, elle avait envoyé des connaissances à sa recherche. Un mois après, ils étaient arrivés dans les montagnes et avaient finalement trouvé les débris des roulottes et étaient arrivés à temps pour sauver Hierophant et son père. Ils avaient trouvé les os et le sang, mais nulle trace de Jaken.
Hierophant était restée près d’une semaine dans un sommeil proche de la mort, épuisée par son dernier acte de bravoure après tous ces mois de jeûne, de ténèbres et d’épreuves. Mais elle avait survécu.
Son père s’était remis plus vite qu’elle. En trois jours, il pouvait à nouveau tenir debout et marcher. Il avait raconté la tragédie en détails à la femme, Hosha, disait-elle s’appeler. Mais tout le monde l’appelait affectueusement la «mère Hosh’» Dans sa générosité, et pour remplacer Otis et sa femme, elle avait proposé à Histris et à sa fille de rester un moment à l’auberge, pour l’aider, en étant nourris, blanchis et logés.
Histris n’était plus le même homme après cette tragédie. Il ne voulait plus voyager, plus faire de comédie. Il était content à l’auberge, où il aidait à la cuisine, au ménage et à faire sortir les clients trop saouls ou trop dangereux. Il culbutait la mère Hosh’ de temps en temps, quand le mari était trop saoul pour le faire. Hierophant ne reconnaissait plus son père, l’homme qui l’appelait ‘princesse’ et qui l’encourageait à voler et à jouer la comédie. Des fois, elle se surprenait même à penser à ce qu’il serait arrivé si elle avait suivi les conseils de Jaken et l’avait tué. Puis, elle secouait la tête et retournait à laver le linge.
Hierophant ne s’était jamais plainte de la vie de troubadour, d’actrice, même quand elle avait faim et froid. La vie à l’auberge était complètement différente. Elle aidait, elle aussi, laver le linge, l’étendre, le repasser, laver la grande salle, les cuisines, les verres, servir des clients obscènes et laids... La route lui manquait. La liberté lui manquait. Elle se sentait enfermée, étouffée dans les robes trop larges de la mère Hosh’. Elle se sentait seule.
Des fois, lorsqu’elle servait les clients à l’auberge, elle fouillait la foule du regard pour apercevoir le visage défiguré de Jaken. Mais elle ne trouvait que celui que Kil. Kil était le fils de la mère Hosh’. Grand, maigre, les dents tordues, l’esprit «faible» comme disait la mère Hosh’. Hierophant le trouvait totalement attardé. Il était toujours sur ses talons. Il la regardait d’une manière qui lui déplaisait et ne l’écoutait jamais quand elle lui demandait de la laisser tranquille. Kil pensait qu’il allait l’épouser puisqu’elle grandissait, son corps se transformait et qu’elle habitait sous le même toit que lui. Quand elle l’entendait se masturber dans la chambre juste à côté de la sienne, elle avait envie de vomir.
Mais le pire, dans sa condition, était la nourriture. La mère Hosh savait cuisiner. Hierophant avait été remise sur pieds en quelques semaines. Elle avait fini par reprendre un poids normal pour une fille de son âge. Ce n’était pas le problème. Hierophant avait juste tout le temps faim. Elle mangeait de tout, mais dès qu’elle sentait l’odeur de la viande encore crue, elle ne pouvait s’empêcher d’être irrésistiblement attirée. Quand une bagarre éclatait, au moins une fois par soir, elle regardait les blessures, comme hypnotisée. Elle était juste incapable de détourner les yeux, incapable d’oublier le goût de la chair humaine sur sa langue et sur son palais. Aucun animal ne faisait jamais le poids.
Dans la nuit, quelques fois, Hierophant se réveillait en sursaut, d’un cauchemar à propos de la cave et alors, elle avait faim. Faim comme dans la cave. Elle avait tellement faim qu’elle considérait même manger un bout d’elle-même ou sortir pour tuer quelqu’un et le manger. Elle l’avait déjà fait, elle pourrait le refaire. Alors, elle s’enroulait dans ses draps et pleurait. Elle se sentait seule, comme rarement elle avait été seule. Dans la grotte, avec Jaken, elle avait souvent eu peur, mais elle ne s’était jamais sentie seule.
Mais, cette fois-ci, Watos sembla entendre les prières de la jeune fille.
Hierophant avait quinze ans. Elle était devenue une très belle jeune fille. Un teint de porcelaine, de belles hanches, des petits seins, un visage long, de longs cheveux blonds en cascade et de magnifiques yeux verts. De nombreux clients revenaient pour la voir et on avait très souvent proposé à Histris de vendre sa fille à un bordel où elle risquait de faire fortune et de lui payer une belle retraite car il se faisait vieux. Mais Histris refusait toujours, avec un poing dans la figure de l’effronté qui osait parler ainsi de sa fille, de la prunelle de ses yeux.
Le mari de la mère Hosh’ avait fini par rendre l’âme. Saoul comme un trou, il s’était fait écraser par une charrette. Histris l’avait très vite remplacé dans le coeur de tous. Repartir était désormais hors de question. Hierophant était jeune et jolie, mais ne s’était jamais sentie aussi malheureuse. Elle regardait tous les troubadours avec envie et les laissait même lui faire la cour, de temps en temps, à condition qu’ils ne s’aventurent pas trop, bien sûr.
Plus le temps passait, plus la mère Hosh’ insistait pour qu’elle se marie rapidement à son fils. Mais Hierophant trouvait toujours quelque chose à redire. Pas le temps. Il méritait mieux. Elle n’avait pas d’argent pour la dot...
Un soir, cependant, alors qu’elle était à la fontaine, à quelques pas de l’auberge, pour remplir un seau pour laver le sol de l’auberge, Kil décida de prendre les choses en main. Hierophant n’eut pas le temps de dire ‘ouf’ ou se se retourner qu’elle sentait déjà les mains sales de vicieuses de Kil se glisser sous sa jupe pour relever le tissu et toucher la chair mise à nu, la maintenant contre le bord de la fontaine par un bras. La sensation était révulsante. Hierophant crut qu’elle allait vomir et ne plus jamais oser toucher la peau qu’il avait touchée.
Mais si Hierophant est bien une chose, ce n’est pas une victime. Elle avait poignardé un homme à dix ans après plusieurs mois de jeûne, elle ne laisserait pas un attarder la violer en place publique dans le noir. La jeune femme tourna rapidement sur ses talons, assenant un coup de seau dans la mâchoire de son agresseur. Il tomba à terre, crachant du sang et quelques dents, jurant et l’insultant. Il allait se relever avec de très très mauvaises intentions à son égard quand il reçut un autre coup qui ne venait pas de Hierophant, cette fois-ci.
La jeune fille releva les yeux vers l’homme qui tenait la cane qui venait de frapper les côte de Kil, le renvoyant, gémissant, à terre :
- Voyons, voyons, ce n’est pas vraiment une façon de traiter une gente demoiselle, fit une voix calme.
L’homme qui se tenait devant elle provenait sûrement de l’élite de la société de Ventus. Il était plutôt grand, assez pour dépasser Hierophant qui était pourtant grande pour son âge, de deux bonnes têtes. Il avait un costume simple, pourtant, d’un vert profond, brodé de noir, ses cheveux noirs, tirés en arrière et attachés dans sa nuque. Il avait des yeux d’un noir profond et vibrant. Il la regardait d’une manière qu’elle pensait avoir oubliée. Il la regardait comme Jaken.
Immobilisée, entre la peur et le soulagement, Hierophant n’osa pas détourner les yeux de l’homme qui venait de la sauver. Enfin, de l’aider à se sauver. Il lui adressa un très léger sourire, presque imperceptible, avant de prendre sa main, abîmée par les travaux domestiques et baiser ses phalanges en se penchant légèrement :
- Mademoiselle, puis-je vous raccompagner chez vous, où vous serez plus en sécurité ?
Elle avait apprit de sa leçon avec Jaken. Si elle voulait faire quelque chose de sa vie, elle devait prendre le risque :
- Non. Je ne serais pas en sécurité chez moi. Lui, dit-elle en montrant Kil du doigt, je devais l’épouser. Mais je ne veux pas. Je ne veux pas rentrer chez moi. Ils me forceront.
L’homme lâcha doucement sa main, sans la quitter des yeux. Elle semblait avoir piqué son intérêt :
- Où donc voulez-vous aller ? - Peu importe. Quelque part. Où voulez-vous m’emmener ? - Vous êtes une curieuse créature, mademoiselle... - Je ne suis pas vraiment une mademoiselle. Mon père était acteur. Maintenant, il cure la crasse sur les assiettes de autres. Il veut que je passe ma vie à faire de même... - Pas vraiment une vie de rêve pour une fille de votre tempérament, j’imagine.
Kil gémit à nouveau et l’homme lui asséna un autre coup de cane.
- Mais ma vie n’est pas tellement plus trépidante... - Qu’est-ce que vous faîtes ? demanda-t-elle.
Il sourit un peu et lui tendit son bras, comme les hommes de la bonne société font avec leurs femmes. Hierophant se sentit un peu ridicule, à agir comme une femme importante alors qu’elle était habillée comme une paysanne, mais elle se rappela son métier d’actrice et tint son menton haut et droit :
- Ma chère, je suis apothicaire. Je vend toute sorte de remèdes... et de poisons, si on y met le bon prix. J'exerce mes fonctions et je vis dans une petite ruelle, pas très loin. je pourrais vivre dans un quartier plus riche, mais la clientèle préfère se cacher, voyez-vous... - Je peux vous aider ! - M’aider ? Pourquoi une jeune fille comme toi voudrait aider un homme à fabriquer des poisons ? - Parce que. Ce sera toujours mieux que de travailler à l’auberge. Vous aurez juste à me loger, à me nourrir et à me blanchir. - Juste ? Aha, et quels talents as-tu à m’offrir ? - Oh... Je ne sais pas faire grand chose... Surtout pas avec les poisons et tout ça... Mais je sais faire le ménage. Je peux nettoyer notre boutique et votre chambre et vous faire à manger et laver vos vêtements. Je peux même vous masser après une longue et dure journée. Mon père dit que j’ai des mains en or ! - Voyez-vous ça ! Des mains en or ! Tu es bien courageuse pour une jeune fille qui vient d’échapper au viol de peu. - Justement. Je ne veux pas que ça se reproduise ! Vous n’allez pas essayer de me violer, hein ? - Aha, non, jeune fille, j’ai trop de dignité pour ça.
Il s’arrêta et mit ses mains sur ses épaules, la tenant à longueur de bras pour l’observer attentivement, de la tête aux pieds.
- Quel est ton nom, jeune fille ? - Hierophant, monsieur. - Bien, demoiselle Hiero, vous êtes désormais l’assistante du docteur Kolgun. Allez chercher vos affaires et vous pouvez dormir dans l’arrière boutique ce soir.
Histris protesta, bien sûr. Il ne voulait pas voir sa petite fille partir du nouveau domaine familial, surtout pour s’installer chez un inconnu qu’elle venait de rencontrer il y a seulement quelques heures. Mais Hierophant lui rappela que non seulement Kil qu’elle était censée connaître depuis des années avait tenté de la violer et pourrait essayer de recommencer si elle restait mais qu’en plus elle avait planté un poignard dans la poitrine d’un homme alors qu’elle avait juste dix ans. Elle n’avait pas peur de recommencer si les choses tournaient mal.
La boutique de Kolgun était un véritable rêve pour tous les curieux : il y avait des fioles sur toutes les étagères, des plantes le long des murs, des étiquettes portant des noms bizarres partout. Hierophant savait à peine lire et les lettres, finement écrites par la main experte de Kolgun, s’entrelaçaient et se mélangeaient sous ses yeux. Il dormait à l’étage, dans une petite chambre qui lui servait aussi de bureau et était sans cesse en désordre, peu importe le nombre de fois que Hierophant la rangeait. La chambre qui lui avait donnée se trouvait dans l’arrière boutique, avec les stocks de nourriture, de poisons et de remèdes. C’était petit et la lumière du jour avait du mal à filtrer, mais elle ne passait pas assez de temps à l’intérieur pour s’en plaindre.
Kolgun n’avait visiblement pas partagé sa vie et sa maison avec quiconque pendant des années et il mit un certain temps avant de perdre quelques habitudes de sa vie en solitaire. S’il perdit rapidement son habitude de se promener nu dans sa chambre après les deux fois où Hierophant était tombée sur lui en tenue d’Adam, la jeune fille eut plus de mal à le convaincre de prendre des repas à heures fixes au lieu de manger par-ci par-là. Kolgun économisa même assez pour acheter la petite maison collée à son magasin pour faire construire une vraie cuisine et une vraie chambre à sa nouvelle apprentie.
Hierophant avait apprit à réciter des vers et à jouer la comédie quand elle était jeune, mais elle savait à peine lire, tout juste compter et ne connaissait rien aux poisons ou aux arts de son nouveau maître. Au début, elle se contentait de faire le ménage, la cuisine et de masser l’apothicaire qui ne tarda pas à confirmer son talent. Puis, ils apprirent peu à peu à se connaître. Kolgun parlait plus facilement après une bonne journée de travail, un verre de vin à la main, les mains de Hierophant sur ses épaules.
Il avait reprit le commerce de son père après sa mort, mais il avait eu des ambitions plus grandes que celles de simple apothicaire. Il avait eu une éducation. Une très bonne éducation. Pas aussi bonne que celle de l’académie Mihailov, mais assez bonne pour être reconnu comme un bon apothicaire. Très tôt, les études l’avaient fatigué et il avait voulu travailler, apprendre par lui-même. La plupart de ses remèdes étaient des remèdes très académiques qu’il avait fait à sa sauce et c’était la raison pour laquelle il avait tant de succès. Il en allait de même pour ses poisons. La plupart étaient impossibles à détecter pour les plus habiles goûteurs car ils n’avaient quasiment rien à voir avec ce qui était fabriqué dans les autres boutiques. Beaucoup d’assassins de renom venaient se fournir discrètement dans l’arrière boutique de Kolgun. Hierophant ne pouvait jamais les reconnaître sauf si son maître le lui disait. Ils avaient l’air tellement normaux pour des gens dont le travail est de tuer !
Ce soir, cependant, Hierophant avait envie de connaître sa vie amoureuse. Elle ne l’avait jamais vu avec une femme qui n’était pas une cliente ou la boulangère. Elle lui avait fait un très bon plat avec plein de viande bien cuite comme il l’aimait (mais saignante pour elle, comme elle l’aimait) et lui avait servi verre de vin après verre de vin, le plus discrètement possible. L’hiver était en train de revenir et ils se trouvaient tous les deux devant le cheminée, face à face, une des jambes de Kolgun tendue, le pied, nu, posé sur son genou tandis qu’elle le massait. Il ne tarda pas à tout lui révéler. Après tout, cela faisait plusieurs mois qu’ils vivaient ensemble :
- J’avais une femme. Laë. Petite, rondelette, des joues bien fournies, bien rouges. Des hanches faîtes pour enfanter. La femme idéale. Une bonne mère de famille. - Pourtant, rit Hierophant, vous n’êtes pas vraiment le genre d’homme à aimer ce genre de femmes. - Sur le moment, ça semblait être une bonne idée. Et puis, je la connaissais depuis que j’étais tout petit et, crois-moi, même quand j’étais plus jeune, je n’étais pas plus beau !
Hierophant avait envie de protester mais se trouva étrangement et subitement timide tout à coup. Elle se concentra sur le pied qu’elle massait.
- Donc, je l’ai épousée. Elle voulait que je l’épouse. J’aurais été content de vivre avec elle, tout simplement, mais elle voulait un mariage, alors on a eu un mariage. C’était une bonne femme. Gentille, douce, prévenante. Elle faisait bien la cuisine et ne me dérangeait pas quand je travaillais. Elle est tombée enceinte. Tout semblait bien se passer. Je pensais que j’allais être heureux. Les affaires marchaient bien et on allait pouvoir donner à notre enfant une très belle vie... Mais quand l’enfant est né... Un petit garçon très fort, très robuste. Laë n’a pas trop souffert pendant l’accouchement... Mais elle ne s’en est jamais remise. Je ne sais pas pourquoi. Elle a soudainement décidé que ce n’était pas la vie qu’elle voulait : un fils, un mari, une vie stable. Elle voulait autre chose. Alors elle me laissait notre fils, Kaë et allait boire chez la mère Hosh’. Je devais allait la chercher au petit matin parce qu’elle ne savait pas s’arrêter, elle ne savait plus rentrer... C’était terrible. Pour Kaë aussi. Il n’avait quasiment pas de mère, juste un père trop occupé pour être vraiment là. Je priais Laë de ne pas partir tous les soirs. De penser à notre enfant. A notre bonheur. Mais elle me criait sans cesse dessus : je n’étais qu’un bon à rien, pas capable de traiter sa femme correctement, pas capable de s’occuper d’elle, de la comprendre. J’aurais voulu la comprendre, mais ce qu’il se passe derrière vos jolies petites têtes est un vrai mystère... Un jour, elle a trouvé mieux que moi, selon elle. Elle a prit Kaë, ses affaires et est partie. Je ne sais pas avec qui, je ne sais pas où. J’ignore même si elle est encore en vie. A vrai dire, je m’en fiche. S’il y a une personne que je voudrais retrouver, cependant, c’est Kaë. J’aurais du m’occuper plus de lui. Mais c’est trop tard maintenant... - Et... Vous n’avez jamais eu envie d’une autre femme depuis ? demanda Hierophant en changeant de pied. - Tu es bien curieuse ce soir, Hiero... Et toi, alors ? Pourquoi demander plus que Kil ? Il t’aurais donné un bel héritage pour une pauvrette comme tu étais.
Hierophant secoua la tête en riant :
- Non. Je ne l’aime pas. Je ne supporte même pas de le voir. Je ne voulais pas passer ma vie avec quelqu’un comme lui. J’avais... J’avais rencontré un homme... Avant... Sa voix devint rêveuse. Il était terrifiant. Mais fascinant aussi. Depuis... Depuis, je ne pas moins que lui, même si je dois rester vieille fille. - Ah, ma chère Hiero...
La jeune fille savait ce qu’elle avait eu envie de savoir. Elle mit Kolgun au lit pour la nuit.
Hierophant eut seize ans très tôt. Kolgun lui ouvrit une petite chaîne dorée avec un pendentif en forme de main, pour honorer ses talents de masseuse et un léger baiser sur la joue. Kolgun n’était pas un homme affectif ou démonstratif. Il pouvait passer des heures sans prononcer un mot. Mais Hierophant savait qu’il l’aimait bien : il utilisait son surnom tout le temps et l’éloignait de ses clients les plus dangereux. Il avait même agrandi la maison pour lui donner une chambre correcte ! Il lui apprenait à lire, même si l'apprentissage était lourd et fastidieux. Elle se débrouillait plus quand il s’agissait de l’aider à préparer les fioles, les poisons, écraser des ingrédients, les mélanger, les arranger sur les rayons, s’occuper des plantes... Elle commençait à prendre la main et Kolgun aimait énormément sa créativité. Elle n’avait eu aucun contact avec l’académie alors ses idées lui semblaient toutes un peu folles, mais dès fois, il l’écoutait et quelques fois, il vendait ses inventions. Les résultats n’étaient cependant pas tous très satisfaisants.
La jeune fille se transformait en jeune femme. Elle était plus grande que beaucoup de filles de son âge et les travaux avaient formé un corps finement musclé, dynamique, agile. Hierophant n’était pas une beauté d’apparat. Il fallait avouer que ses yeux verts et perçants et ses cheveux, d’un blond profond en cascade sur ses épaules et dans son dos ajoutaient à son charme. Quelques clients lui rôdaient autour quand elle était seule dans le magasin mais elle savait les tenir à une distance respectable. Si Kolgun était aussi dans le magasin, ils repartaient avec le remède contraire à ce qu’ils recherchaient. Kolgun était protecteur.
Sa vie avec Kolgun était meilleure que sa vie à l’auberge, mais la jeune femme se sentait puissamment inassouvie. Elle avait encore faim. Ça devenait insupportable. Toutes les nourritures commençaient à devenir fade et Kolgun remarquait de plus en plus son appétit pour la viande presque crue. Il lui semblait que Jaken était toujours quelque part dans un des recoins de son esprit. Ses rêves devenaient de plus en plus aventureux et elle se réveillait souvent avec des sensations très étranges. Hierophant n’avait jamais vécu dans des milieux très féminins. Sa mère n’avait pas beaucoup eu le temps de lui apprendre ce qu’était une femme et c’était la mère Hosh’ qui avait du lui expliquer pourquoi elle saignait tous les mois. Dès fois, elle se surprenait à observer Kolgun plus que nécessaire et était très flattée quand elle le surprenait à l’observer quand il pensait qu’elle ne le savait pas.
Il commençait à la présenter à des clients et à la laisser gérer le magasin toute seule. C’était à elle de décider de quel médicament ou de quel poison ses clients avaient besoin. C’est comme ça qu’elle finit la connaissance d’Enge.
Enge est un assassin très réputé. C’est l’un des rares assassins qui a vieilli et est toujours dans le métier. Pour blaguer, Kolgun dit qu’il est comme le vin : en vieillissant, il devient meilleur. Enge est plutôt grand, très fin, une peau sombre et rêche tendue sur ses os. Il a le crâne rasé, des yeux très bleus et l’air de venir d’un royaume très très lointain. Kolgun lui a dit qu’il vient d’Ignis, mais quel homme d’Ignis avec un talent pour la violence voudrait s’installer à Ventus ?
Lorsqu’il entre dans la boutique, Hierophant est en train d’installer plusieurs fioles sur les étagères, les rangeant par catégories, les étiquettes bien en évidence. Désormais, sa main signe les potions aussi bien quelle celle de Kolgun. Il est entré sans bruit et la jeune femme sursaute quand il commence à parler :
- Mademoiselle, savez-vous où... - Par Watos, vous m’avez fait peur ! s’exclama-t-elle en se retournant vers le nouveau client. - Veuillez me pardonner. Il n’avait pas du tout l’air désolé. Je cherche Kolgun... - Je vais le trouver.
Hierophant posa ses fioles sur le comptoir et lui jeta un dernier regard méfiant avant d’aller tirer Kolgun de l’arrière boutique.
- Enge ! Tu as réussi à effrayer mon apprentie, pourtant, elle n’est pas impressionnée par grand chose. Que lui as-tu fais subir ? fit-il en riant à moitié. A moitié. - Rien, répondit-il catégoriquement. J’ai besoin de te parler un instant.
Il la regarda et Hierophant se sentit tout de suite déplacée dans le monde entier. Mais Kolgun passa son bras sur les épaules de la jeune femme, la gardant près de lui :
- Ce que tu as à me dire, elle peut l’entendre aussi, assura-t-il.
Hierophant sut qu’elle l’aimait à ce moment-là.
- J’ai un cadavre qu’il ne faut absolument pas retrouver. Nulle part. Pas dans un fossé, pas dans une rivière, pas un os dans la gamelle d’un chien. J’ai besoin de quelque chose d’assez corrosif pour le faire fondre. Maintenant. - Si tu me donnes deux jours, je peux te procurer la quantité nécessaire, mais en ce moment, il me reste juste assez pour faire fondre quelques membres, pas le cadavre entier... Tu ne peux pas le brûler ? - Pas dans l’endroit où il est. Je prend déjà un gros risque en le laissant là pour venir te voir.
Il y eut un silence embarrassé et Kolgun semblait réfléchir à toute vitesse. Il était nerveux.
- Quand l’avez-vous tué ? demanda-t-elle avant de se rendre compte de ce qu’elle faisait. - Deux heures. Le sang doit à peine commencer à sécher. - Je peux vous aider à vous en débarrasser. Personne ne le retrouvera. Kolgun, donnez-moi juste le peu de soude que vous avez. - Elle est magicienne ? demanda Enge. - Pas plus que moi... Pourquoi n’es-tu pas allé en voir un ? - Le seul en qui j’ai confiance était trop loin. Que proposes-tu, jeune fille ? - C’est mon affaire. Contentez-vous de m’amener au cadavre.
Enge la regarda un moment, comme s’il la voyait pour la première fois. Puis, il eut un léger sourire :
- Je ne sais pas ce que tu peux faire de mieux que moi, mais autant essayer. Donne-lui ce qu’il faut, Kolgun. Prend une capuche, jeune fille, tu n’as pas besoin d’être mêlée à toutes ces affaires.
Quelques minutes après, Enge avait mené Hierophant à travers la ville au pas de course. La jeune femme était épuisée, les jambes aussi fatiguées qu’après une journée intense de travail. Ils étaient dans la riche partie de la ville, là où la jeune femme n’avait jamais mis les pieds. Elle se serait bien attardée pour observer la magnificence des détails, mais Enge ne faisait aucune pause et insistait pour qu’elle garde la tête bien baissée. Puis, il la mena dans une petite ruelle sombre et l’aida à grimper jusqu’à une des fenêtres qu’il avait laissée ouverte.
- Attendez-moi là, j’en ai pour une heure ou deux. - Tant que tu ne fais pas de bruit et qu’il ne reste aucun cadavre ! la pressa-t-il.
A l’intérieur, l’odeur de chair encore fraîche était enivrante. Hierophant se demanda un instant si c’était une bonne idée. Elle avait agi par instinct comme elle le faisait toujours. D’habitude, cela donnait des résultats plutôt concluants : elle vivait avec Kolgun, un homme très intelligent qui lui avait apprit à lire, à écrire et à se débrouiller. Maintenant qu’elle voyait cet homme dans ces beaux habits, sur ce magnifique tapis qui valait plus que tout ce qu’elle possédait, elle se demandait si c’était une bonne idée.
Elle pensa à Jaken et s’agenouilla auprès du cadavre. Elle retira d’abord les vêtements avec précaution, les étalant sous lui avant de passer une main tremblante sur la peau mise à nu du cadavre.
Elle planta ses dents dedans, sentant la chair céder et le goût inonder son palais affamé. Elle avait enfin ce qu’elle voulait. La faim commençait à s’apaiser. Il lui semblait qu’elle avait eu faim depuis la fois où elle avait mangé de la chair humaine la dernière fois. Incapable de s’arrêter, la jeune femme pria pour que les bruits de son festin ne soient pas trop forts. Elle mangea, mangea, mangea, comme une affamée, comme lorsqu’elle s’était réveillée pour la première fois chez la mère Hosh.
Quand elle eut finit son festin, il ne restait qu’un tas d’os. Elle répandit la soude prêtée par Kolgun dessus. Puis, elle utilisa la cuvette d’eau pour laver le sang de son menton et de ses dents. Elle poussa la poussière sous le tapis et la chambre était comme neuve. Avant de partir, cependant, elle s’autorisa à prendre un costume masculin complet, assez sobre, le roulant sous son bras. Elle sauta par la fenêtre, atterrissant sur ses pieds comme un chat, sa force décuplée par son récent festin. Enge était en train de monter la garde :
- Tu en as pris du temps ! - Le travail est fait. Il n’y a plus aucune trace. Vous pouvez aller voir. - J’espère que tu ne m’as pas fait perdre mon temps...
Enge monta à son tour dans la chambre, resta un long moment et finit par sortir. Pour la première fois, Hierophant vit de la surprise et de l’admiration sur ses traits marqués par l’âge :
- Et tu dis que tu n’es pas magicienne ? - J’ai mes secrets. Allons-y.
Lorsqu’ils furent de retour, Kolgun mit Hierophant dans un bon bain chaud et resta discuter un long moment avec Enge dans l’arrière boutique.
Le lendemain, quand Histris sortit de la chambre qu’il partageait avec la mère Hosh, quand elle ne se faisait pas culbuter par un des saoulards de l’auberge, il vit un paquet posé devant sa porte. Il y avait une petite note, écrit sur un chiffon de papier mais par une main élégante. Il fit appel à tous ses souvenirs pour la déchiffrer : «Pour Histris, avec tout l’amour du monde» Dans le paquet, il y avait un costume d’homme, complet, simple et sobre, mais d’assez bonne qualité pour tenir des années. Histris soupçonna tout de suite sa fille.
- Enge est impressionné. Je ne l’ai jamais vu aussi enthousiaste, fit Kolgun en entrant dans la salle de bain où Hierophant était encore dans l’eau chaude, ronronnant comme un chat satisfait. Il voudrait te prendre en tant qu’apprentie. Je suis si fier de toi.
Hierophant lui donna un sourire triomphant avant de redevenir sérieuse :
- Avant tout, je dois te dire quelque chose, fit-elle très sérieusement.
Cette nuit-là, elle lui raconta. Tout. Son voyage, la grotte, la chair humaine, son addiction, la façon dont elle s’était débarrassée du cadavre...
A la fin de son récit, elle était incapable de le regarder, les yeux fixés sur l’eau désormais froide.
Kolgun, qui était resté silencieux tout au long du récit, repoussa une mèche blonde derrière son oreille. Elle releva la tête, ses grands yeux anxieux, vers lui. Il se pencha pour l’embrasser, offrant ses lèvres à celles qui avaient déchiré de la chair humaine il y avait à peine quelques heures.
Depuis, Kolgun a toujours été son amant. Depuis, Hierophant n’a jamais aimé d’autres hommes. Quand elle se lève tous les matins, dans les draps en désordre, dans les bras protecteurs, elle sourit, s’étire et part chercher à manger. Kolgun n’a jamais voulu tester de la chair humaine, mais il la laisse en ramener, quand elle peut, pour son propre dîner.
En effet, Enge ne tarda pas à prendre la jeune femme sous son aile. Elle avait connu la faim, la fatigue, les travaux : elle n’avait jamais eu une vie calme, paisible dans le confort de l’élite : elle savait être forte. Elle avait juste besoin d’un peu de technique. L’apprentissage fut rude, épuisant, mentalement et physiquement. Dès fois, Hierophant rentrait, la tête haute pour aller ensuite se réfugier dans les bras de Kolgun, quand la fatigue et la douleur étaient plus qu’elle ne pouvait supporter. Pourtant, le lendemain, elle retournait, toujours, auprès de son nouveau maître.
Elle commençait à l’assister également. Ses talents d’actrices étaient très utiles, sa beauté aussi. Elle attirait les hommes, mettait les femmes en confiance. Puis, elle les emmenait à Enge qui faisait le travail, lui décrivant toutes les étapes pour arriver au meurtre parfait, c’est-à-dire au meurtre qui ressemblait à un parfait accident. Elle aidait encore à la boutique, à nettoyer, à ranger, à préparer les potions. Kolgun s’était prit une passion pour sa dépendance à la chair humaine. Il lui posait sans cesse des questions et avait fait des croquis sans fin de ses dents pour les comparer à ceux de jeunes femmes ayant une alimentation non-cannibale. Ces examinations avançaient plutôt lentement parce que Hierophant trouvait toujours un moyen de le distraire. Elle devint de plus en plus douée. Elle allait les armes et les poisons. Elle commençait à prendre ses repères, ses trucs, ses tactiques. Elle arrivait à surprendre Enge, même s’il trouvait sa manière de tuer encore trop bruyante. Etrangement, il semblait également très intéressé par sa manière de se débarrasser des corps mais la trouvait trop longue. Ceci dit, lorsqu’on trouva des cadavres à moitié mangés aux abords de la cité, personne ne soupçonna un assassinat.
Peu à peu, Enge la laissait travailler seule et lui donnait même des missions qu’il n’avait pas envie de faire. Il commençait à se faire vieux et il ne pouvait plus agir avec autant de rapidité qu’autre fois. Sous le nom d’Enge, Hierophant grandissait peu à peu.La réputation de l’assassin n’était plus à faire et Hierophant gagnait bien sa vie. Dans quelques années, elle pourrait espérer avoir une plus grande maison et de quoi acheter des produits de plus en plus rares pour la boutique. Dès fois, elle rêvait à un enfant. Une petite fille ou un petit garçon, avec des cheveux aussi blonds que leur mère et des yeux aussi noirs que leur père. Mais, malgré tous leurs efforts, Hierophant ne tombait toujours pas enceinte. Elle n’osait pas accorder la moindre attention à cette petite voix qui lui murmurait dans sa tête que Kolgun aussi se faisait vieux et que, désormais, ses cheveux blancs envahissaient sa glorieuse chevelure noire. Quand Enge finit par se mettre définitivement à la retraite, une rareté pour un assassin mais, encore une fois, peu d’assassins étaient aussi doux qu’Enge, il s’installa dans une petite maison pas très loin de chez eux et, très naturellement, les anciens clients se tournèrent vers la jeune femme. Les contrats venaient de très haut, de l’élite. Elle visitait des véritables palais qu’on appelait des maisons. Elle entra même une fois à l’académie de Mihailov pour rencontrer un client qui y travaillait. Si elle n’avait pas rencontré Jaken, rien de tout cela serait arrivé. Dès fois, la nuit, la tête posée sur le torse de Kolgun, Hierophant remerciait mentalement le cannibale qui qui l’avait forgée à son image, avait un petite sourire et se rendormait.
Et bien tout d'abord bienvenue à toi sur Dies Irae ^^ Ta présentation est très belle, une histoire prenante et très bien écrite, mais qui vu les thèmes abordés va requérir un petit avertissement pour les lecteurs (bien que je tienne à te féliciter sur un point que je trouve magistral, tu arrives à conter des scènes extrêmement horribles d'une plume qui nous donne envie d'en découvrir davantage, sans jamais tomber dans le glauque, ce qui est loin d'être facile).
Quoiqu'il en soit, voici les notations, qui sont assez évidentes:
Puissance - Rang C+:
Hiero est une tueuse, agile et entrainée par un assassin tout ce qu'il y a de plus effrayant, mais elle manque de "biscuit" comme disait mon professeur d'économie, puisqu'elle a appris il y a seulement quelques années. De plus elle est formée pour tuer, et non pour se battre. C'est une distinction importante qui fait qu'en combat loyal face à un soldat Terran ou un magicien aguerri, la victoire serait très loin d'être acquise.
Influence - Rang D:
Discuter de l'influence de la pègre et des mafias à Ventus pourrait être long, je me suis finalement arrêter sur ce rang, en sachant qu'elle possède énormément de contacts parmi les gens de l'ombre mais reste en soi éloignée des hautes sphères.
Bienvenue sur le forum!
Je connais un chef de nation qui va être content *content de recruter une cannibale, paie ta nation de la justice ahem*